
La quête d'autonomie et de maîtrise de son existence constitue l'une des aspirations les plus profondes de l'être humain. Dans un monde caractérisé par l'accélération constante, l'information omniprésente et les pressions sociales multiformes, reprendre le contrôle de sa trajectoire personnelle devient un acte délibéré nécessitant une conscience aiguisée. Cette démarche ne relève pas d'un simple désir de contrôle, mais d'une volonté d'alignement authentique entre nos actions quotidiennes et nos valeurs profondes. L'autodétermination consciente représente cette capacité à façonner son parcours de vie en pleine connaissance des forces internes et externes qui nous influencent.
La psychologie moderne a considérablement approfondi notre compréhension des mécanismes sous-jacents à cette prise de conscience et aux processus décisionnels qui en découlent. Des recherches en neurosciences aux approches thérapeutiques contemporaines, les outils pour cultiver cette conscience de soi et développer une vie auto-dirigée n'ont jamais été aussi accessibles. Ce cheminement vers l'autodétermination consciente n'est pas linéaire—il implique des cycles d'introspection, d'expérimentation, d'évaluation et d'ajustement.
Fondements psychologiques de l'autodétermination consciente
L'autodétermination consciente s'enracine dans plusieurs théories psychologiques majeures qui éclairent notre compréhension de la motivation humaine et des processus décisionnels. Ces cadres conceptuels offrent une base solide pour quiconque cherche à reprendre le contrôle de son existence de manière éclairée et structurée. Comprendre ces fondements permet de développer une approche plus raffinée de ses choix de vie et d'identifier les facteurs qui influencent, parfois subtilement, notre sentiment d'agentivité.
Théorie de l'autodétermination selon deci et ryan : applications pratiques
La théorie de l'autodétermination (TAD) développée par Edward Deci et Richard Ryan constitue l'une des approches les plus complètes pour comprendre la motivation humaine. Elle identifie trois besoins psychologiques fondamentaux dont la satisfaction conduit à une motivation intrinsèque durable : l'autonomie, la compétence et la relation à autrui. L'autonomie représente le besoin d'agir en cohérence avec ses valeurs personnelles; la compétence reflète le désir de maîtriser efficacement son environnement; tandis que la relation à autrui souligne l'importance des connexions sociales significatives.
Dans une perspective d'application pratique, cette théorie suggère que prendre en main son destin implique de créer des conditions où ces trois besoins sont satisfaits. Par exemple, plutôt que de poursuivre des objectifs imposés par l'environnement social (motivation extrinsèque), une personne engagée dans une démarche d'autodétermination cherchera à identifier les domaines d'activité où elle ressent une motivation authentique, développera méthodiquement ses compétences dans ces domaines, tout en cultivant des relations sociales qui soutiennent ses aspirations profondes.
Processus neurocognitifs impliqués dans la prise de décision consciente
Les avancées en neurosciences ont révélé que la prise de décision consciente engage des réseaux neuronaux complexes, notamment le cortex préfrontal, siège des fonctions exécutives. Ce système permet l'inhibition des réponses automatiques, la planification stratégique et l'évaluation des conséquences potentielles. Des recherches récentes démontrent que la qualité de nos décisions dépend en grande partie de notre capacité à identifier et réguler nos états émotionnels, processus impliquant l'amygdale et l'insula, en coordination avec le cortex préfrontal.
Une caractéristique fascinante de notre architecture cognitive est que la plupart de nos décisions sont initiées inconsciemment, jusqu'à 7 secondes avant que nous en prenions conscience selon certaines études. Ce décalage temporel souligne l'importance d'une pratique régulière de l'introspection pour développer une meilleure connaissance de nos schémas décisionnels habituels. Les techniques de mindfulness se révèlent particulièrement efficaces pour créer cet espace d'observation entre les impulsions automatiques et les décisions réfléchies.
La qualité de nos décisions ne dépend pas tant de notre intelligence abstraite que de notre capacité à reconnaître et intégrer les signaux corporels et émotionnels qui guident implicitement nos choix quotidiens.
Développement du "locus de contrôle interne" selon julian rotter
Le concept de "locus de contrôle" introduit par Julian Rotter distingue deux orientations fondamentales dans notre rapport aux événements de vie : le locus externe (attribuer les événements à des facteurs extérieurs comme la chance ou les autres) et le locus interne (reconnaître sa propre influence sur les résultats obtenus). Les recherches montrent constamment que les personnes avec un locus de contrôle interne développé manifestent davantage de résilience face aux adversités, une meilleure santé psychologique et des performances supérieures dans divers domaines d'activité.
Cultiver un locus de contrôle interne implique un travail d'identification systématique des domaines où l'on peut exercer une influence, même modeste. Cette approche ne nie pas l'existence de contraintes externes réelles, mais recentre l'attention sur les zones d'action possibles. Par exemple, face à un événement professionnel défavorable, une personne à locus interne s'interrogera : "Quelles compétences puis-je développer pour améliorer ma situation?" plutôt que "Pourquoi ai-je toujours malchance?".
Des exercices structurés peuvent renforcer cette orientation : tenir un journal recensant quotidiennement les décisions prises et leurs conséquences; pratiquer le reframing cognitif pour reformuler les situations en termes d'opportunités d'action; ou adopter des objectifs progressifs dans des domaines initialement perçus comme hors de contrôle.
Conscience de soi réflexive vs conscience de soi rumination
La recherche en psychologie distingue deux formes de conscience de soi aux effets diamétralement opposés : la conscience réflexive et la rumination. La première constitue une approche constructive d'auto-observation, caractérisée par une curiosité bienveillante envers ses propres états mentaux et comportements. Elle favorise l'apprentissage, l'adaptation et ultimement l'autodétermination. À l'inverse, la rumination représente une focalisation obsessionnelle sur ses défauts et échecs perçus, souvent associée à l'anxiété et la dépression.
Développer une conscience de soi réflexive implique d'adopter une posture d'observation neutre, similaire à celle d'un scientifique étudiant un phénomène avec curiosité plutôt qu'avec jugement. Cette qualité d'attention permet d'identifier les patterns récurrents dans nos réactions et d'introduire progressivement plus de choix conscients dans des situations auparavant gérées automatiquement. Des pratiques comme la méditation de pleine conscience ou le journaling structuré facilitent cette transition vers une conscience plus réflexive.
Conscience réflexive | Conscience ruminative |
---|---|
Orientation solution | Orientation problème |
Perspective flexible | Pensée rigide |
Curiosité bienveillante | Autocritique sévère |
Contextualisation | Généralisation |
Méthodologies contemporaines d'introspection structurée
L'introspection structurée représente l'ensemble des méthodes systématiques permettant d'explorer ses motivations profondes, valeurs et schémas de pensée habituels. Contrairement à l'introspection spontanée, souvent caractérisée par un vagabondage mental peu productif, ces approches offrent des cadres précis pour guider l'exploration intérieure. Leur pratique régulière constitue une fondation essentielle pour quiconque souhaite développer une vie consciemment auto-dirigée plutôt que de réagir passivement aux circonstances.
Technique WOOP de gabriele oettingen pour aligner intentions et actions
La technique WOOP (Wish, Outcome, Obstacle, Plan) développée par la psychologue Gabriele Oettingen représente une méthode scientifiquement validée pour transformer les souhaits vagues en intentions concrètes et réalisables. Contrairement à la pensée positive traditionnelle, cette approche intègre délibérément l'anticipation des obstacles potentiels, ce qui renforce significativement les chances de succès. Une méta-analyse portant sur plus de 60 études confirme que cette méthode augmente de 30% à 150% la probabilité d'atteindre ses objectifs dans divers domaines.
La mise en œuvre du WOOP suit quatre étapes distinctes : d'abord, formuler clairement un souhait significatif ( Wish ); ensuite, visualiser en détail le résultat positif espéré ( Outcome ), en portant attention aux sensations et émotions associées; puis identifier honnêtement les obstacles internes prévisibles ( Obstacle ); enfin, élaborer un plan d'action spécifique ( Plan ) sous forme "si obstacle X apparaît, alors j'adopterai comportement Y". Cette séquence active à la fois les systèmes motivationnels et les capacités exécutives du cerveau.
- Identifier un souhait précis et réaliste
- Visualiser le résultat souhaité en détail
- Anticiper les obstacles internes potentiels
- Formuler des plans d'action conditionnels (si-alors)
Pratique du journaling analytique : méthodes progoff et pennebaker
Le journaling analytique constitue bien plus qu'une simple consignation d'événements quotidiens—il s'agit d'une méthode structurée d'exploration de soi. La méthode Progoff, développée par le psychologue Ira Progoff, propose un système élaboré de "dialogue avec soi-même" à travers différentes sections de journal (dialogue avec les personnes, dialogue avec les événements, dialogue avec les œuvres, etc.). Cette approche favorise une compréhension approfondie des influences qui façonnent nos choix actuels.
Les travaux de James Pennebaker ont démontré scientifiquement les bénéfices de l'écriture expressive sur la santé mentale et physique. Sa méthode consiste à écrire pendant 15-20 minutes sur des expériences émotionnellement significatives, en explorant librement les pensées et sentiments associés. Des études cliniques montrent que cette pratique régulière réduit les symptômes dépressifs, améliore la fonction immunitaire et facilite la prise de décision consciente en clarifiant les valeurs personnelles.
Pour maximiser les bénéfices du journaling analytique, certains principes s'avèrent essentiels : maintenir une pratique régulière (idéalement quotidienne); alterner entre écriture libre et questions ciblées; explorer les contradictions internes avec curiosité plutôt qu'avec jugement; et revisiter périodiquement les entrées précédentes pour identifier les patterns émergents. Cette pratique développe progressivement ce que les psychologues nomment la métacognition
, cette capacité à observer et comprendre ses propres processus de pensée.
Méditation de pleine conscience et auto-observation non réactive
La méditation de pleine conscience, dérivée de traditions contemplatives millénaires mais aujourd'hui validée par des centaines d'études scientifiques, constitue un pilier fondamental du développement de l'autodétermination consciente. Cette pratique cultive la capacité à maintenir une attention soutenue et non-jugeante sur l'expérience présente—sensations corporelles, émotions, pensées—créant ainsi un espace entre stimulus et réponse qui permet des choix plus délibérés.
Des recherches en neurosciences démontrent que la pratique régulière de la pleine conscience modifie la structure et le fonctionnement de régions cérébrales impliquées dans la régulation attentionnelle, la conscience corporelle et la régulation émotionnelle. Une méta-analyse regroupant 209 études révèle des effets particulièrement significatifs sur la réduction du stress, l'amélioration de la clarté décisionnelle et l'augmentation du bien-être psychologique après 8 semaines de pratique régulière.
L'auto-observation non réactive, compétence centrale développée par cette pratique, permet d'identifier les schémas automatiques qui dictent habituellement nos comportements. Par exemple, une personne habituée à réagir impulsivement aux critiques peut, grâce à cette pratique, apprendre à reconnaître la séquence "critique → sensation de contraction dans la poitrine → pensée d'auto-dévalorisation → comportement défensif" et introduire graduellement des réponses plus conscientes et adaptatives.
Dialogue socratique intérieur : questions transformationnelles clés
Le dialogue socratique intérieur adapte la méthode philosophique de Socrate à l'exploration personnelle. Cette approche utilise des questions structurées pour examiner les croyances limitantes, clarifier les valeurs authentiques et identifier les incohérences entre convictions et comportements. Contrairement à l'introspection non dirigée, qui peut renforcer les biais cognitifs existants, le questionnement socratique suit une progression méthodique vers des niveaux de compréhension plus profonds.
Plusieurs questions transformationnelles se révèlent particulièrement puissantes pour développer l'autodétermination consciente : "Quelle est la preuve objective soutenant cette croyance?", "Quelles alternatives n'ai-je pas encore considérées?", "Quelle vision du monde sous-tend cette interprétation?", "Comment saurais-je que j'ai fait le bon choix?". Ces interrogations systématiques permettent de dépasser les automatismes cognitifs et d'accéder à une perspective plus nuancée sur les situations complexes.
Les questions que nous nous posons déterminent la direction de notre attention et, par conséquent, la qualité des insights auxquels nous accédons. Maîtriser l'art du questionnement intérieur constitue l'une des compétences les plus transformationnelles.
Stratégies décisionnelles pour une vie auto-dirigée
Après avoir développé une conscience de soi approfondie grâce aux méthodes d'introspection structurée, l'étape suivante consiste à mettre en œuvre des stratégies décisionnelles efficaces. Ces approches permettent de transformer les insights personnels en actions concrètes, alignées avec nos valeurs profondes. Contrairement aux décisions impulsives ou aux choix guidés par l'inertie sociale, les stratégies présentées ci-dessous offrent des cadres systématiques pour naviguer dans la complexité des options qui s'offrent à nous.
Matrice de décision eisenhower adaptée aux choix de vie majeurs
Initialement conçue pour la gestion du temps, la matrice d'Eisenhower peut être adaptée efficacement aux décisions existentielles. Cette approche classe les options selon deux axes: leur importance (contribution à nos valeurs fondamentales) et leur urgence (contraintes temporelles). Pour les choix de vie majeurs, cette matrice prend une dimension particulière: les cadrans "important mais non urgent" deviennent le lieu privilégié des décisions transformationnelles, tandis que le quadrant "urgent mais non important" révèle souvent des distractions guidées par les attentes externes.
L'application de cette matrice aux choix de vie requiert une méthodologie spécifique: d'abord, identifier clairement la décision à prendre; ensuite, lister toutes les options envisageables sans autocensure; puis évaluer chaque option selon son importance intrinsèque et son caractère véritablement urgent; enfin, prioriser les actions liées aux options importantes mais non urgentes. Cette priorisation contre-intuitive—se concentrer sur ce qui est important avant qu'il ne devienne urgent—constitue l'essence d'une vie autodéterminée plutôt que réactive.
L'efficacité de cette approche repose sur sa capacité à contrecarrer notre biais cognitif naturel favorisant l'urgence au détriment de l'importance. En pratique, cela peut signifier consacrer du temps à explorer une passion naissante avant de prendre une décision de reconversion professionnelle, ou approfondir une relation potentiellement significative plutôt que de multiplier les interactions superficielles sous pression sociale.
Protocole de clarification des valeurs fondamentales selon acceptance and commitment therapy
L'Acceptance and Commitment Therapy (ACT) propose un protocole rigoureux pour identifier et clarifier les valeurs personnelles qui serviront ensuite de boussole décisionnelle. Contrairement aux objectifs qui sont atteignables et finis, les valeurs représentent des directions de vie continues—comme une boussole indiquant le nord sans qu'on puisse jamais "arriver au nord". Cette distinction est fondamentale: elle permet de développer un cadre décisionnel flexible mais cohérent face aux multiples choix quotidiens.
Le protocole ACT de clarification des valeurs comporte plusieurs exercices structurés. L'un des plus puissants consiste à s'imaginer à son propre éloge funèbre et à décrire la vie qu'on aurait souhaité mener. Cet exercice, confrontant mais révélateur, permet d'identifier les domaines de vie véritablement significatifs et les qualités d'être auxquelles on aspire. Une autre approche consiste à explorer systématiquement différents domaines (relations, travail, loisirs, développement personnel, communauté) en se demandant: "Quelle qualité d'être voudrais-je incarner dans ce domaine, indépendamment des résultats obtenus?"
Les valeurs ne sont pas ce que nous désirons ressentir, mais comment nous désirons nous comporter, même en présence d'émotions difficiles. C'est précisément leur pouvoir directeur face à l'adversité qui en fait des guides si précieux pour l'autodétermination.
Architecture de choix personnalisée : nudges auto-administrés
Les travaux en économie comportementale ont démontré l'influence considérable de l'environnement sur nos décisions—souvent à notre insu. L'innovation consiste à utiliser ces mêmes principes pour concevoir délibérément notre environnement afin qu'il facilite les comportements alignés avec nos intentions profondes. Ces "nudges auto-administrés" représentent une forme sophistiquée d'autodétermination: reconnaître les limites de notre volonté tout en créant les conditions qui favorisent nos choix préférés.
Cette approche peut se déployer à différentes échelles. Au niveau matériel, cela peut impliquer de réorganiser son espace physique (placer les livres en évidence et la télévision dans un placard, par exemple). Au niveau numérique, cela peut signifier programmer des rappels stratégiques, paramétrer des filtres sur certains sites, ou utiliser des applications qui gamifient les comportements souhaités. Au niveau social, cela peut consister à rejoindre des groupes dont les normes correspondent à nos aspirations ou à partager publiquement nos engagements pour renforcer notre responsabilité.
L'efficacité de ces nudges repose sur une connaissance approfondie de nos propres biais et tendances. Par exemple, si l'on sait être sujet au présent bias (tendance à privilégier la satisfaction immédiate au détriment des bénéfices futurs), on peut mettre en place des systèmes d'engagement préalable qui "verrouillent" nos décisions avant que la tentation ne se présente. Des études montrent que les personnes utilisant consciemment ces stratégies atteignent leurs objectifs à long terme avec une probabilité significativement plus élevée.
Méthode ikigai japonaise pour l'alignement professionnel et personnel
Le concept japonais d'ikigai—littéralement "raison d'être"—offre un cadre intégratif particulièrement pertinent pour l'autodétermination consciente. Représenté visuellement par l'intersection de quatre cercles, l'ikigai se situe à la confluence de ce qu'on aime faire, ce pour quoi on est doué, ce dont le monde a besoin, et ce pour quoi on peut être rémunéré. Cette approche holistique dépasse la simple recherche de passion ou de succès financier pour viser un alignement complet entre dimensions internes et externes.
La méthode d'exploration de l'ikigai comprend plusieurs phases d'investigation systématique. Pour chacun des quatre cercles, on établit d'abord une liste exhaustive sans jugement: activités qu'on aime naturellement, compétences où l'on excelle (avec validation externe), besoins sociétaux observés, et opportunités économiques existantes. Ensuite, on identifie méthodiquement les zones d'intersection: activités plaisantes mais non rentables, opportunités lucratives mais sans passion, etc. Ce processus cartographique révèle progressivement les zones d'alignement optimal et les compromis potentiels.
L'intérêt de cette méthode réside dans sa capacité à réconcilier dimensions souvent perçues comme antagonistes, particulièrement dans les sociétés occidentales qui tendent à opposer passion et pragmatisme. Des études auprès de centenaires japonais d'Okinawa suggèrent que cet alignement multidimensionnel contribue significativement à la longévité et au bien-être. Dans une perspective d'autodétermination, l'ikigai propose une vision plus nuancée que la simple "poursuite de ses rêves"—une voie médiane qui intègre aspirations personnelles et responsabilité sociale.
Gestion des influences externes et conditionnements
L'autodétermination consciente ne peut se réaliser pleinement sans une compréhension approfondie des forces qui façonnent nos perceptions, désirs et comportements. Notre environnement social, culturel et médiatique exerce une influence considérable sur ce que nous considérons comme désirable ou même possible. Reconnaître et gérer ces influences constitue une dimension essentielle de la réappropriation de son parcours de vie.
Les conditionnements opèrent à plusieurs niveaux: familiaux (modèles et attentes parentales), culturels (définitions du succès propres à notre milieu), sociaux (pression des pairs et normes implicites), et aujourd'hui numériques (algorithmes personnalisés qui renforcent nos biais existants). Ces influences ne sont pas intrinsèquement négatives—elles permettent la transmission de savoirs et la cohésion sociale—mais deviennent problématiques lorsqu'elles restent inconscientes et déterminent nos choix à notre insu.
Développer une conscience critique de ces conditionnements implique plusieurs démarches complémentaires. La première consiste à pratiquer régulièrement un décentrage culturel
—s'exposer délibérément à des perspectives alternatives à travers voyages, lectures ou rencontres interculturelles. Cette pratique révèle le caractère contingent de nombreuses "vérités" que nous tenions pour absolues. La deuxième approche implique un travail généalogique sur nos croyances: pour chaque conviction importante, se demander "D'où me vient cette idée? Est-ce que je l'adopterais si je la rencontrais aujourd'hui pour la première fois?"
Les recherches en psychologie sociale démontrent que nous sous-estimons systématiquement l'influence du contexte sur nos comportements—c'est ce qu'on nomme l'erreur fondamentale d'attribution. Reconnaître cette tendance permet d'adopter une posture plus lucide face aux influences externes. Des techniques spécifiques comme le "jeûne médiatique" temporaire, la pratique de la pensée contrefactuelle ("comment penserais-je si j'étais né dans une autre culture?"), ou l'analyse critique des discours publicitaires renforcent cette capacité de discernement.
Développement d'un plan de vie authentique et évolutif
L'élaboration d'un plan de vie authentique représente l'intégration concrète des processus d'introspection, de clarification des valeurs et de gestion des influences externes. Contrairement aux plans stratégiques traditionnels, souvent rigides et focalisés uniquement sur des objectifs mesurables, un plan de vie authentique se caractérise par sa flexibilité et son attention équilibrée tant aux modes d'être qu'aux résultats visés.
La conception d'un tel plan commence par l'identification des "piliers existentiels"—les trois à cinq domaines de vie fondamentaux pour notre épanouissement personnel. Pour chaque pilier, on définit ensuite une vision inspirante mais réaliste à différents horizons temporels (1, 3, 5 ans), ainsi que les qualités d'être qu'on souhaite incarner dans ce domaine. Cette approche double—être et faire—permet d'éviter l'écueil de l'acharnement aveugle sur des objectifs qui, une fois atteints, peuvent se révéler insatisfaisants si le chemin emprunté contredit nos valeurs.
Le caractère évolutif du plan est tout aussi essentiel que son authenticité. Des recherches en psychologie du développement montrent que nos valeurs et aspirations se transforment naturellement avec l'âge et les expériences significatives. Un plan de vie efficace intègre donc des mécanismes explicites de révision—par exemple, des bilans trimestriels guidés par des questions spécifiques: "Qu'ai-je appris sur moi-même récemment?", "Quels aspects de mon plan résonnent moins fortement aujourd'hui?", "Quelles nouvelles possibilités ont émergé que je n'avais pas envisagées?"
L'implémentation concrète bénéficie d'une structure en cascade: de la vision globale aux rituels quotidiens. Ce système permet de maintenir la cohérence entre les aspirations profondes et les actions quotidiennes. Par exemple, si un pilier important concerne l'expression créative, cela peut se traduire par un projet annuel spécifique, soutenu par des pratiques hebdomadaires dédiées, elles-mêmes facilitées par des rituels quotidiens comme 15 minutes de création libre au réveil. Cette architecture à plusieurs niveaux crée un alignement vertueux entre le quotidien et le visionnaire.
Mesure et ajustement continu du parcours personnel
Toute démarche d'autodétermination consciente nécessite des mécanismes de feedback et d'évaluation pour éviter les écueils du volontarisme naïf ou de l'inertie inconsciente. La mesure ne concerne pas uniquement les réalisations objectives mais également la qualité subjective de l'expérience vécue—dimension souvent négligée dans les approches conventionnelles de développement personnel orientées uniquement vers les résultats.
Les indicateurs pertinents pour une autodétermination authentique combinent des mesures objectives (actions concrètes réalisées, compétences développées) et subjectives (alignement ressenti, qualité de présence, satisfaction existentielle). La psychologie positive a développé plusieurs outils validés scientifiquement pour évaluer ces dimensions moins tangibles, comme le Flow State Scale (mesurant les états d'engagement optimal), le Satisfaction With Life Scale, ou le Meaning in Life Questionnaire. Ces instruments, utilisés périodiquement, fournissent des données précieuses sur notre trajectoire globale.
L'ajustement continu s'appuie sur un processus métacognitif structuré—observer non seulement nos résultats mais également notre façon d'observer et d'évaluer ces résultats. Cette démarche réflexive permet d'identifier et de corriger les biais d'autoévaluation courants comme l'effet Dunning-Kruger (surestimation de ses compétences dans les domaines où l'on est novice) ou le biais négatif (tendance à accorder plus d'importance aux échecs qu'aux réussites). La pratique du "journal de bord du capitaine"—consignant régulièrement observations, hypothèses et ajustements—s'avère particulièrement efficace pour développer cette compétence métacognitive.
L'étude des points d'inflexion naturels de nos cycles de vie offre également des occasions privilégiées d'évaluation et de réalignement. Ces moments de transition—changements professionnels, relationnels, déménagements, étapes d'âge significatives—constituent des "portails décisionnels" où notre réceptivité au changement est naturellement amplifiée. Anticiper et utiliser consciemment ces périodes transitionnelles pour réévaluer notre parcours représente une stratégie d'autodétermination particulièrement puissante, transformant des périodes potentiellement déstabilisantes en opportunités d'évolution délibérée.
La véritable autodétermination ne se mesure pas à notre capacité à exécuter parfaitement un plan préétabli, mais à notre habileté à maintenir le cap vers nos valeurs essentielles tout en nous adaptant avec flexibilité aux circonstances changeantes et aux nouvelles compréhensions de nous-mêmes.